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Mauvaise passe et piège à cons (2018)

Dans cette cour sans âme ni attrait, les oiseaux en cage entonnaient une complainte pathétique traitant de leur condition de prisonniers sans avenir. La patronne à la robe bleu nuit et à la poitrine opulente, m’attendait pour la visite de courtoisie. Dès le décollage, à l’orée des escaliers, j’avais remarqué une vue plongeante sur son décolleté vertigineux. Des abysses que je regardais d'en bas, des mamelons dessinés que je considérais et qui me snobaient. Cette visite allait trop vite, au pas de course, je restais hypnotisé par ses nichons qui j’en étais persuadé, me manipulaient. Pendant ce temps, virevoltante, la « propriétaire » avait la langue bien pendue, elle brouillait les cartes, je suivais sa piste, engourdi, tout étourdi, je tournais de l’œil en me rinçant l’œil sur ses deux monts de cocagne, avec l’implacable impression qu’elle m'utilisait à cet instant.
 
Le couloir distillait une odeur infecte de pisse de chat surchauffée, imbibée dans les paillassons, imprégnée dans les murs, incrustée sous nos chaussures, et qui nous poursuivait jusqu'à notre niche. L'appartement était cher et crade, la femme superbe, superbement crade aussi. Elle me faisait faire le tour du propriétaire en bonne professionnelle qu'elle était. J'étais pris, léthargique, presque fiévreux, et consentis bien trop rapidement à payer le prix, à rendre les armes et à déposer les clefs à ses parents (existaient-ils vraiment ?) le lendemain sans bruit. C’était là un drôle de deal.
 
Les images défilaient en accéléré, mais ce qui restait du peu de lucidité qui m’était offerte, se traduisaient sous la forme d’incrustations sonores. A peine entré, je remarquais la plainte robotique du freezer, un bourdonnement continu, suivi en un mouvement d’un souffle profond, un grondement sourd qui enflait, qui gonflait, un ronflement remplissait tout l'espace et le temps, un déplacement de masse d'air sans précédent, un capharnaum retentissant, un hallucinant boucan, faisant trembler les cloisons, déchirant les maisons, un vacarme du diable qui me glaça le sang, me laissa pantois, figé. Ça commençait par une fraction de silence total, toute vie s’éteignant un instant, suivi dans la seconde par un grondement sourd qui s'amplifiait et qui inondait l'espace/temps, inondait le ciel jusqu'à devenir tout bonnement assourdissant, insupportable jusqu'à l'inaudible. C’était flippant. Ce raffut de dingues fracassait tout, emplissait tout.
 
Surpris, inquiet, sous le choc, alors que mon hôtesse ne bougeait même pas un sourcil, seuls ses nibards gonflaient, dansaient sous leur toile. Elle en profita pour jouer sa carte maitresse et se déshabillât dans ce climat malsain. Ce logement avait tout d’une souricière, j'étais fait comme un rat.
 
Scène obscène, à quatre pattes, rutilant, le petit oiseau de sortie. Je me vidais les couilles dans son con transpirant, dégoulinant de sueur, de fureur que j'aurai dû déployer sur le frigo tout à l'heure. Me remémorant le fil de ce vertigineux moment de solitude, retentissaient ses mots en écho :"Time to relax ! Give me my money now". J'aurai pu, j'aurai dû comprendre les sous-entendus à peine masqués, les prétentions finales moyennant finance de la matrone survoltée. Très occupée, trop occupée, en bonne business woman à vider mon porte-monnaie. Il fallait les comprendre plus vite les sous-entendus nauséeux de la tenancière, venue aux affaires, obsédée par le fric, et ses regards insistants, et sa manière de faire tomber les clefs, de confronter ma piètre vue, ma faiblesse, sur ses deux monts antiques, affolants vestiges intacts de la Grèce antique. Prête à l’épopée épique, sans éthique, à me faire visiter Pompéi et se lancer dans une quête archéologique, je m’étais frotter à son con et maintenant ça piquait. Depuis que j'avais tendu le gros billet vert, je m’étais retrouvé pris au piège, pleutre objet de sa pulsion sans passion, coutumière du fait.
 
Les plâtres rococos au plafond suspendu, moi allongé sur le lit à baldaquin rincé, cravaché par une amazone pressée. Après ce coït animal frugal et fugace, elle s'était trempée l'entrejambe dans la baignoire sabot émaillé, elle avait bien frotté et s'était essuyée la vulve dans la serviette dépareillée, elle avait claqué la porte, liquide en poche, était retournée à ses affaires pour investir d'autres arrivants têtes en l’air, à visiter, à consumer, à consommer. Je restais coi, l’asticot ferré, ma nouille qui douillait, j'étais asséché. 

Je me forçai à explorer les lieux et découvrais des meubles massifs aux poignées d'origines incertaines. Une salle d'eau carrelée, écaillée de la tête aux pieds, avec fond marin du sol aux murs, à donner la nausée. Une serviette pendouillante, rapiécée, déjà utilisée, qui sentait le patchouli, à moins que ce n’était l'odeur de son cul. 
Je continuais par la cuisine, marron claire, dans sa masse, dans son jus, à gerber. Ici et là pendaient des cadres, des croutes, un lustre doré, du végétal séché, un miroir aux oubliés, des plafonds provocateurs, garnis de moulures en plâtre prétentieux. Suspendue, une tringle à rideaux en bois grossier maintenait une toile imprimée défraichie, un pare-soleil d'infortune qui cachait un long balcon onduleux. Une rampe inamicale qui faisait des angles et des plis. Un soleil ravageur tapait sans discontinuer, et servait uniquement à transpirer à grosses gouttes. Des portes à carreaux jaune moutarde barraient toute liberté, me laissaient dépérir en compagnie de natures mortes et de canevas brodés effilochés, témoignages de la « période glauquissime ».
 
Je revis le frigo transi de froid dans la moiteur suffocante, agonisant dans cette humeur ambiante pesante, irrespirable qui m’accablait. Le frigo grésillant, obsédant, hypnotique, psychiatrique, cadavérique.
 
Je m’assoupis et puis... le vacarme assourdissant lézarda les façades avoisinantes, remplissant les fissures de terreur et de haine. Il emplit mon espace/temps et mon imaginaire de cauchemars assourdissants. Le bruit abrutissant des vols balayait tout. Des immondices, des sacs poubelles de grondements à s'en rendre sourd, à se foutre en l’air, à devenir fou à lier. Les piaillements douloureux des oiseaux de cage précédaient des hoquètements de panique qui s'amplifiaient dans l'escalier. La lumière déclinait, l’obscurité gagnait, je m’assoupissais encore, je percevais le rugissement bestial des grosses cylindrées. Le sifflement des moteurs, les écoulements des climatiseurs, les véhicules qui accéléraient, ralentissaient, se garaient, s'égaraient dans le dédale de Tantale, le long des tentacules et des culs de sacs, autos qui reculaient, qui braquaient, qui s'immobilisaient et les portes qui claquaient et les rires stridents qui martelaient ma tête endolorie.
 
Le grésillement entêtant du frigo grinçant, récalcitrant, parfois suffocant dans l’air manquant, entretenait mon insomnie. Les deux roues pétaradantes, à la parade, des paons gênants, freinantes, dérangeantes, abrutissantes, cherchaient leur chemin dans ce labyrinthe de maisons basses, s’égaraient. Les quatre roues bruyantes, frappaient les pavés à chaque roulement, les cliquetis des trousseaux de clefs cinglaient une fois que le conducteur ou la conductrice enfin se garaient. Tout bruit était une nouvelle saignée. Les attaques de chats territoriaux, les miaulements de haine, les ronflements menaçants, les sifflements dominants, les batailles de territoire, les chamailles, les combats, les conquêtes vaines.
 
Et puis... Un nouveau traumatisme, un vacarme du diable, un son insoutenable, auquel tout vivant succombait ou agonisait pour toujours. Le bruit du progrès qui surplombait, qui me pétait à la gueule. Des réacteurs qui grondaient, qui m’explosaient les tympans. Les aboiements des chiens étaient des appels au secours de bêtes apeurées, des implorations terrorisées par un monstre invisible tonitruant, le plus terrifiant à des kilomètres alentours. La rue amplifiait telle une caisse de résonnance angoissante, même les klaxons vulgaires me déstabilisaient, me faisaient vivre un énième tressaillement.
 
Les chats, déambulant à pattes de velours sur les toits esquintés, étaient les yeux de la nuit. Ceux qui avaient tout vu et se taisaient à jamais, remisant leurs moustaches en un air de rien. Avec un sourire narquois que je devinais pleinement et qui me disait : "Tu t'es fait avoir amigo, tu n'es pas le premier et ne sera pas le dernier". 
Les vols de nuit s'arrêtaient à minuit et reprenaient à quatre heures. J’étais dépouillé, éreinté, esquinté, je tentais une fois encore de m'assoupir, harassé, quelque peu excédé par ce guet-apens et du » pourquoi du comment » de cette trop longue journée et de son déroulement. Une journée machiavélique à implorer maintenant les bras de Morphée.
Les chats déambulaient en ombres chinoises dans la lumière tamisée, néons blafards que produisaient des lampadaires étriqués. Les moustiques que je savais voraces juste à l’écoute de leur vigueur de déplacement, finissaient par me terrasser. Ce qui me hantait : « Cette fille avait un corps fou mais dans sa tête dansait la folie, je me le répétais en boucle, sa transe endiablée me possédait. Cette ensorceleuse de serpents torturés, qui avaient le malheur d’enclencher sa sonnette pour se loger. Un défilé de prétendants se s’étaient cassés les dents sur son cœur en béton armé. Ceux qui avaient accepté ses avances en reculant sans mordaient à jamais leurs doigts ensanglantés et serraient leurs dents élimées. 

Je tremblai à quatre heures et dans un sursaut d'orgueil ébranlé par le premier avion du matin, je m’enfuyais penaud et pataud à folles enjambées, balançant les clés au passage sur le perron de l’appartement du rez-de-chaussée (soi-disant des parents). Je fuyais loin de ce quartier miteux, de ses démons enchainés à un monstre de fer, et de cette vouivre assoiffée qui m’avais possédé et dépossédé. Hypocrite et confus, la tête dans le cul et le bigoudi enflé. Enfin sur le pont du bateau je contemplais aux premières lueurs du jour cette ville hantée, échappé de ce piège à cons.

Le miroir aux hirondelles (2010)

Photo
Je vous écris de la médina ou je bois un frappé moka. De la terrasse je vois la mer qui scintille. Mille feux follets clignotants qui m’appellent, qui m’alarment. Je vais descendre l’escalier, me frayer un chemin sous la glycine. Et me jeter à corps perdu dans l’infini, impuissant, hypnotisé. Car ce suicide est un meurtre.

Un regard dans le rétroviseur de mes 5 derniers jours. Mercredi, 19h00, le Fokker Olympic Airlines atterrit sur la courte et déserte piste de Mytilène. En cette pré-Pâques les familles accueillent leurs extradés, brioches de Pâques sous les bras. Je suis l’étranger. Je loue une voiture toute automatique qui a l’avantage de pouvoir apprécier les paysages sans trop de déconcentration. Je fais le plein à la station service située sur le port.  Le pompiste, la cinquantaine moustachue et bedonnante veut absolument que je me rende à Molyvos (la ville des touristes) et insiste. Je refuse. Je choisis alors l’itinéraire de visite dans le sens des aiguilles d’une montre. J’arriverai à Molyvos le dimanche. Mercredi soir, je dors à Vatera, sur la plage, seul, dans le coffre de mon automatique. Le lendemain, je décide de partir à la découverte des sources chaudes de l’Ile. A Polichnitos, l’eau soufrée s’extirpe de la terre à 76° en émettant de petits clapotis, tout en laissant échapper des fumerolles de brume.  Je rencontre à la source un américain à vélo, la cinquantaine moustachue et bedonnante, en habit de cycliste. Il me dit de me rendre à Efthanou et Molyvos car les sources jaillissent à 20 mètres de la mer. Une expérience unique à vivre selon lui. Un bain aménagé permet de se plonger dans des eaux radioactives à 46° avant de prendre un bain de mer rafraichissant. Avant de me quitter, il souhaite me prendre en photo. Je pose souriant, sa casquette fétiche « Lacked girl » sur la tête. Soit le nom d’un club de gogo danseuses basé en Arizona. Ma route se poursuit jusqu’à Skala Kallonis. Je trouve un hôtel cosy et décontracté, tenu par un homme d’une cinquantaine d’années, moustachue et bedonnant. Quand je lui dis que je pars pour Sigri, il me prévient que tout sera fermé, que je ferais mieux d’aller directement à Molyvos. Il est vrai que depuis deux jours, Pâques se prépare fanatiquement. Et le soir dans le petit village qui m’héberge, la crypte accueille des fidèles alignés et disciplinés.

Depuis que j’ai quitté l’Hôtel de Skala Kallonis, je n’arrête pas de croiser, suivre, précéder, un pick-up rouge japonais. Dans les oliveraies que je traverse, sous les oliviers centenaires, au carrefour des villages, sur la route serpentée et ravinée menant à Sigri et à la forêt pétrifiée. Le Pick-up rouge japonais se pointe, m’épie, me surprend, me dévisage, au détour d’un virage, garé le long du rivage, comme un inquiétant mirage.

Vendredi soir je décide de dormir sur la plage à Sigri, un village de pêcheurs isolé, enclavé, abrité par une longue et fine île qui agit comme un par-vague. Pour dîner, je choisis un restaurant basé sur le port. Je suis accueilli par un homme d’une cinquantaine d’années, moustachue et bedonnant. Je ne prends qu’un apéritif et file me coucher, à jeun. En sortant du restaurant, un pêcheur entrain de repeindre son bateau se retourne pinceau à la main, il a la cinquantaine moustachue et bedonnante.

Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. L'obsession de ses visages décuple mon anxiété. A l’aube, je quitte Sigri sous un soleil rieur et réconfortant. Je traverse le village d’Antissa et m’abandonne à une marche ressourçante. J’arrive à la magnifique place centrale, tranquille sous les platanes. De nombreux hommes assis aux terrasses des tavernes se retournent et m’observent. Ils ont tous la cinquantaine moustachue et bedonnante. Je fuis cette inquiétante vision et roule vers Pétra. Je traverse un paysage volcanique, aux champs de météorites, puis des gorges rouges cendrées, et enfin la végétation réapparait, petit à petit. D’abord des herbes folles vertes fluorescentes, jusqu’à déployer des hordes de chênes lièges. A Pétra, un allemand passionné d’ornithologie semble débarqué d’un album de Tintin au Congo, avec ses habits au style colonial. Muni de ses appareils archaïques, longue vue oxydée et trépied en bois, argentiques en bandoulière, chaussures de randonnée en cuir véritable.  Il se promène, la cinquantaine chancelante, moustachue... et bedonnante.

Je dors à l’Hôtel Les pieds dans l’eau. Cent pétards rugissent jusqu’à minuit. Je m’endors mais des rêves me hantent. Sur les routes escarpées, j’entame une course poursuite avec un pick-up rouge japonais. Au volant, un homme d’une cinquantaine d’années moustachu et bedonnant, semble possédé, et qui, après une folle épopée,  me précipite dans le vide. Réveil en sursaut, transpirant.

Le lendemain matin, le fumet des agneaux grillés à la broche vient me chatouiller les narines jusque dans mon lit. La porte fenêtre entrouverte agissant comme un soufflet en attisant les arômes. Je me lève encore lourd des pensées de la nuit, et découvre les ruelles. Dans les potagers, les tentaculaires figuiers me rappellent les octopus mis à sécher au fil la veille, avant de les dévorer. Les champs d’oliviers me remémorent les tableaux de Chagall, Van Gogh, Gauguin. Je grimpe jusqu’au sanctuaire accroché comme une citadelle inassiégeable au rocher de Pétra. Je domine la cité et profite d’une vue panoramique sur le front de mer, ligne d’horizon, et le front de terre, découpé par un relief escarpé au loin. Quand j’aperçois la procession de Pâques avec à sa tête un pope tout de noir vêtu, une icône à la main que tous embrassent. Je le reconnais, sa cinquantaine moustachue et bedonnante. Je dévale les marches de pierre 2 par 2 et cours comme possédé vers mon destin : destination Molyvos, prédiction des apôtres moustachus et bedonnants.

A l’entrée du village au kastro dominant, je vous écris du Médina Hôtel ou j’ai pris une chambre. Je me suis rendu à Efthanou pour découvrir les bains. Ils étaient fermés et un homme nu m’a épié depuis la plage. Il avait la cinquantaine moustachue et bedonnante. J’ai rebroussé chemin, une véritable psychose s’est emparée de moi. Je finis d’écrire et je me retourne. Je suis tout seul à la terrasse.  Tout à l’heure, de nombreux clients terminaient leur repas pantagruélique de Pâques. Je n’ai pas osé les regarder, reclus dans mes obsessions. Hormis le tintement strident des hirondelles, j’entends le souffle de la mer qui me réclame. Les oiseaux braillent et me pressent de les suivre... Je vais descendre les escaliers pour m’effrayer un chemin sous la glycine et rentrer dans la mer. Ils m’ont suicidé.

Nathan Imbroglio (2008)

N’attend pas le matin pour être de mauvaise humeur
N’attend pas la fièvre pour faire monter la température
N’attend pas le printemps pour cueillir des fleurs

Nathan Imbroglio est un honnête homme. Ce gentleman célibataire n’a qu’une préoccupation: embrasser les filles. Mais dans la vie réelle, celle de tous les jours, il s’occupe de son chien et joue aux échecs contre l’ordinateur. Nathan Imbroglio est un homme moderne. Il repasse ses chemises, cuisine aux petits légumes, arrose les plantes d’intérieur, lave son linge sale en famille. Il conserve néanmoins quelques traditions. Rendre visite à sa mère le dimanche midi, jouer au bowling avec ses amis le vendredi. La trentaine grisonnante, il se pose beaucoup de questions sur l’existence, son combat, ses désirs, ses manques, ses fantasmes. Nathan Imbroglio a des fantasmes, à la fois simples et inaccessibles, d’ordre sexuels. Faire l’amour au sommet de la Tour Eiffel avec une suédoise (mais qui ne soit pas une allumette). Louer une suite au George V avec deux déesses grecques chaudes comme le marbre et leur réciter en latin: « Penetrum forcum, in cadense, templum, templum, mi amore».

Nathan Imbroglio n’est pas très intéressant mais attachant. Avec ses maladresses, son mal de vivre, son ennui qui s’enracine lentement. Ses petits tracas d’être délaissé, abandonné, noyé dans sa solitude. Un pov’ type, brav’ gars, ambitieux à souhait. Un homme de parole en l’air, dans le vent d’ouest, un homme à la mer qui se noie en attendant sa bouée de sauvetage qui ne vient pas. Alors il boit, il titube dans son appartement, car il est propriétaire. Un legs familial issu d’un décès d’un aïeul. Le soir, avant de se coucher en matant des revues pornographiques, il boit un tilleul, et ne peut s’empêcher de penser qu’il est seul, quelle existence contrastée.

Ce matin, Nathan part au travail, à bicyclette, évite deux trois crottes de chien, dix, quinze crottes de chien, aboie comme un putois après des automobilistes peu fréquentables qui grillent les feux rouges. Reprend du poil de la bête pour lutter contre le vent glacial qui s’est levé en ce mois gris violent d’octobre. Passe à la pharmacie pour s’acheter des Rumex, des Compeed et du Bottox.
C’est  là qu’en sortant il croise Bébert, ancien de la marine, complètement déboussolé depuis qu’il a perdu sa Louisiane, sa tendre et chère, son arête dorsale. Le béret vissé entre ses deux oreilles, l’air grommelant, il s’enracine comme une épave au vieux port. Bébert, des épreuves, il en a connu. Qui l’ont endurci. Il a côtoyé dans sa folle jeunesse des sirènes, mais aussi des murènes et des morues, aujourd’hui toutes desséchées, en croûte de sel.
Il n’a jamais vraiment été une lumière mais repérait un phare de très loin au milieu des tempêtes. Ce qui l’a plus ou moins sauvé, son instinct, sa bonne étoile, sa volonté farouche de ne pas rentrer bredouille ni dépouille. Le soir couchant avec sa Louisiane, Bébert savait y faire. Il commençait toujours par les préliminaires, c’était un expert. Mais aujourd’hui, pour lui, l’heure semblait plutôt à l’achèvement…

Subitement, bruyamment, sur le pavement, Bébert a l’air révulsé. Et voici Bébert hurlant « Mort au vache, mort au rat, mort aux trousses », empoignant la laitière qui passait par là, il l’étrangle sauvagement. La pâle fermière commence à fermenter, à baver, à tirer la langue. Des parfums de vanille et de fraise s’échappent de son corset. Attirée, la foule hébétée se délecte de la scène morbide. Bébert est au bout du rouleau, il ne passera pas le printemps. Décidé, il va mettre fin à ses jours... ou pas. Alors que personne ne s’y attendait plus, il relâche sa prise, frénétique.  Le petit lait se vide sur le macadam, mais la crémière agonisante semble vivante. Nathan ne sait quelle mouche pique le marin mais celui-ci se rue dans la ruelle à grande enjambée (pour un Bébert) pour atteindre la péniche Commandant Cousteau apparaillée sur le canal. Le vieux goujat largue les amarres, démarre les moteurs et met les voiles vers l’Amérique en criant qu’il veut faire escale à Caen, car il veut revoir une dernière fois sa Normandie.
Nathan a assisté au spectacle, encore troublé, il de quoi raconter une drôle d’histoire à ses collègues. Il se dit: « il a pété un boulon le Bébert, pov’ Bébert, chienne de vie pour les affamés». Mais cet épisode trotte inconsciemment dans la tête de notre zéro. Sera-t-il toujours celui qui assiste impuissant aux actions, même folles, de ses semblables… ou prendra-t-il une fois son destin en main et affronter les obstacles que la vie dresse devant lui.

Ce soir, Nathan est de retour dans son Home sweet Home. Dans son confort spartiate où trône fièrement son habit de cosmonaute, un déguisement qu’il a conçu lui-même pour le carnaval 1991, il avait alors 14 ans. Il passe devant sa collection d’Airbus et de Boeing qu’il bichonne avec affection. Son étagère accumule des modèles en métal et autres objets volants non identifiés, à ailes, à réacteurs, à museaux profilés. Il n’est pas peu fier de son aérienne collection, à laquelle on peut ajouter des centaines de clichés réalisés derrières les grillages de l’aéroport, depuis sa plus tendre enfance. Des décollages, des atterrissages, des ratages… Il a tout conservé. Pourtant, aussi fou que cela puisse paraitre, Nathan n’a jamais pris l’avion. Pas même un parapente ni une montgolfière.
En cette nuit tourmentée par les événements récents, il se dit qu’il est peut-être l’heure pour lui de prendre son envol. Aujourd’hui, il est un adulte consentant et responsable, capable de prendre son destin en main, d’assumer les responsabilités qui lui incombent, il se motive, se congratule, se rassure… oui, oui, oui, il peut le faire ! Il pourrait changer de vie, changer d’air, prendre Air France et s’envoler pour les Amériques. Il en profiterait pour parfaire son anglais, ce qui n’est pas une mince affaire, lui qui a toujours rêvé de s’exprimer impeccablement dans la langue de Shakespeare. Nathan expire, inspiré par ce déclic, et voici qu’il attache sa ceinture de sécurité et virevolte direction les States. New York, the big apple, lui tend les bras. Il croque le fruit à pleines dents et mâche chaque seconde de ce projet fou, délectation somnolente. S’aye, Nathan lévite, sur son tapis volant, il va parcourir le monde.

Mais Nathan reste un type raisonnable, et ce matin, après cette nuit magique, il n’a qu’une hâte, retrouver ses fleurs pour les chouchouter. Son quotidien le rassure et ses rêves l’évadent de la morosité. C’est bien ainsi.

L’amas sous le bras (2003)

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Ou la terrible et fabuleuse histoire de Sam le Produit
Sam défile
Des liasses de dépliants, cartes routières, guides touristiques et autres ouvrages techniques traitant du biotope des amphibiens en milieu protégé avec lui. La sacoche en bandoulière sous le bras, les bras en "monte charges lourdes et encombrantes". L’articulation de la clavicule fonctionne en véritable poulie.

L’amas ne s’arrête pas là : le bougre, profitant d’une faille dans la défense de Sam, a pris source et fait son nid au sein même de son repère. Se nourrissant d’obscurité et de moiteur, il s’est propagé diaboliquement dans toutes les pièces de l’entre de Sam. Nul n’est roi en son royaume. Dans la pièce à coucher, une pièce maîtresse, se sont les habits qui prolifèrent. Comme les algues poussent sur les fonds marins, s’accrochant au corail, profitent de toutes les embouchures et recoins pour se reproduire. Les algues vieillissantes se décomposent pour former un compost fertile.

La pièce à manger a fait naufrage et la coque décrépite tombe en lambeau de rouille sur l’évier en inox qui s’oxyde. L’accès au canapé est un échec. La place de réception se fait à l’entrée, sur un siège éjectable avec renouvellement d’air et espace pour les jambes intégré. Sam le pécheur à pêcher. J’ai bien tenté de l’empêcher d’amasser, de le réconcilier avec l’espace et la liberté de mouvement. En ce lieu, il n’a fait que s’embourber.

Il déambule, il titube, il soulève son fardeau comme Jésus portait sa croix. Sam le pirate, muni de son drapeau noir, brandi son pavillon menaçant, s’acharnant comme un fou pour passer à l’abordage des ennemis envahisseurs. Mais les détritus lui jouent un mauvais tour. Rassemblant ses derniers pions, le constat reste sans appel, il a perdu. Lorsque les objets se révoltent, aucun cavalier, aucune reine ne vient porter secours aux malheureux assiégés.

A sa décharge, nous pouvons colporter l’importante nouvelle: Sam est heureux. Pendant que d’autres se noient dans leur chagrin, Sam lui surfe sur les planches à dessin, renverse son petit-déjeuner sur la cartographie de France classé par région, brasse l’écume de la paperasse, glisse sur la taxe d’habitation… mais le plus souvent pose l’ancre sur un banc de sable dans un ilot sous les tropiques.

La quête du coton tige (2002)

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Léo a l’oreille gauche qui le gratte. Direction le meuble de salle de bain, tiroirs blancs, glace frontale. Prise de la boîte de cotons tiges, vide.
Raclements de gorge, râle et vibrato de l’oreille, le tympan le démange. Particule de cire poisseuse titille les cils internes de l’orifice auditif. L’obstruction est lointaine. Il faudrait un coup de grisou. « S.O.S mineurs à votre écoute. On vous envoie une équipe de choc qui va briser le roc. »
Démangeaisons, l’auriculaire ne sert décidément à rien, à part appeler E.T. l'extraterrestre. Essayez de rentrer l’index dans un goulot de canette.
Tourner en rond, devenir fou, le vice est poussé à son paroxysme. Courir, se cacher sous les draps, hurler!
Se boucher le nez, titiller le lobe de l’oreille droite, accélérer la cadence. Le marteau martèle le gong. Le nerf auditif vrille comme une corde de contrebasse.
Soudain une idée, une lucidité dans cet univers livide, cette partie sombre. Une bouteille d’eau iodée pour le nez à proximité de la boîte vide, rayon nasale, grippes et autres maladies contagieuses. Aspersion frénétique… durée 15 secondes. Léo retient son souffle. Diminution de la souffrance. Prise de manteau direction la pharmacie proche.
Quand la démangeaison de l’oreille vous prend comme une envie de pisser, l’immédiat prend le pas sur le présent raisonnable.

Chaque minute, une nouvelle…

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Léon et Sarah vivent dans la rue, leur chien Billy souffre de tremblements de la sciatique, son dos vacille. Le froid y est pour beaucoup, la malnutrition aussi. Sous l’arche du Polygone, ils cherchent ensemble une solution rationnelle pour sauver leur chien.
Un marchand de meubles passe par là, ne les voit même pas, s’attarde près des sacs de cuir de la maroquinerie toute proche. En se disant « Si ma prochaine table était un sac! ».
Un boucher pressé traverse la ruelle en mâchouillant un bout de bidoche sans faire de bulle. Il ne leur viendra pas en aide.
Un herboriste se tape des inhalations de plantes en déglutissant, en glairant jaune vert. Sa bouche d’égout refoule du bec.
Sûrs d'eux, les deux protagonistes se lèvent, Léon porte Billy sur leur dos. Leur décision est prise, demain ils partent à la Bourboule soigner les rhumatismes du canidé.

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